La dermatillomanie
La dermatillomanie est un trouble du comportement qui se caractérise par le grattage ou le pincement compulsif de la peau, mais aussi la vérification de l'état de sa peau souvent pour répondre à une anxiété ou à une tension interne. Ce comportement peut entraîner des lésions cutanées importantes, des cicatrices et des infections, ainsi qu’un sentiment de honte ou de culpabilité.
Le DSM-5 classe la dermatillomanie parmi les troubles obsessionnels-compulsifs (tocs) et apparentés, mais cette classification est discutée par la communauté scientifique. La dermatillomanie partage en effet de nombreux aspects avec les tocs comme le fait de douter constamment de l'état de sa peau, de l'importance que celle-ci représente aux yeux des autres ce qui provoque alors la compulsion de se regarder ou de se toucher. Ce trouble est aussi souvent lié à une difficulté à gérer le stress, à se concentrer face à une tâche nécessitant une attention élevée (pour l'école ou le travail notamment) ou à des pensées obsessionnelles concernant l’apparence de la peau. On retrouve également souvent une forme de perfectionnisme ou des exigences personnelles et/ou interpersonnelles élevées.
Cadre théorique
D'abord étudie par les dermatologues, ce trouble psychopathologique fut récemment référence dans le 5e Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM-5) parmi les Troubles Obsessionnels- Compulsifs (2013). La dermatillomanie fait egalement partie de la sous-categorie des « comportements répétitifs centres sur le corps » (CRCC) au côte de la trichotillomanie (arrachage compulsif de ses propres cheveux) ou de l'onychophagie (manipulation répétitive et excessive des ongles). Les parties du corps les plus touchées sont les zones facilement atteignables comme le visage, le haut du corps ou les extrêmités (Roberts, O'Connor & Belanger, 2013). Les patients expriment ressentir une satisfaction durant l'acte (Snorrason, Smari & Olafsson, 2010). C'est à la suite du triturage qu'une détresse significative apparaît à travers le developpement de lesions physiques mais également d'émotions négatives telles que l'anxiété, la honte, la culpabilité ou la dépression (Tucker, Woods, Flessner, Franklin & Franklin, 2011).
Épidémiologie
La prévalence de la dermatillomanie dans la population générale serait comprise entre 2,1% (Grant & Chamberlain, 2020) et 5,7% (Houghton et al., 2018), mais les études demeurent encore peu nombreuses. Farhat et al. (2023) informe d'une prévalence plus élevée chez les femmes en comparaison aux hommes, avec le nombre de femmes atteintes de dermatillomanie 1,45 fois plus élevé que le nombre d'hommes atteints (IC à 95 % de 1,15 à 1,81, p = 0,001). Les recherches suggèrent que la dermatillomanie peut se manifester à différents stades de la vie, de l'enfance à l'âge adulte, mais les données spécifiques sur les prévalences par groupe d'âge sont encore limitées (Hayes et al. 2009).
Hypothèses étiopathogéniques et thérapeutiques
1. Théories cognitives et émotionnelles
Sous-catégorisation de la dermatillomanie
Selon Arnold et al. (1998), il existerait trois styles de triturage : (1) un style « compulsif » ou «focalisé» caractérisé par une cueillette effectuée en pleine conscience et en réponse à des émotions aversives ou obsessionnelles ; (2) un style « impulsif » ou « automatique » caractérisé par une cueillette effectuée avec un minimum de conscience ; (3) un style "mixte", qui partageait à la fois des traits compulsifs et impulsifs.
Pour Parsa, Pixley & Fried (2023), il existerait onze catégories de grattage: (1) organique/dysesthétique (l'excoriation serait secondaire à des démangeaisons ou d'autres perturbations d'ordre physiologique) (2) obsessionnel-compulsif (l'excoriation serait liée à des pensées intrusives) (3) fonctionnellement autonome/habitude (l'excoriation se serait installée par simple habitude et ne présenterait pas de pensées obsessionnelles intrusives associées), (4) anxieux/dépressif (l'excoriation aurait pour principale fonction de diminuer l'anxiété ou les troubles de l'humeur), (5) trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (l'excoriation serait liée à l'impulsivité caractéristique du TDAH) (6) borderline (l'excoriation serait liée au comportement impulsif et auto-destructeur d'une personnalité borderline), (7) narcissique (l'excoriation serait liée à la caractéristique d'intolérance à l'imperfection de la personnalité narcissique), (8) dysmorphophobique (caractérisé par une préoccupation excessive pour l'imperfection esthétique perçue), (9) délirant (l'excoriation ferait suite à des croyances fausses d'infection de la peau par des matières étrangères), (10) coupable (l'excoriation serait une réponse à un sentiment de culpabilité extrême à la suite d'un acte commis) et (11) colérique (l'excoriation serait la manifestation d'une colère inhibée). Ces classifications ne sont pas mutuellement exclusives, mais elles fournissent un cadre pour comprendre les patients et guider les approches de traitement.
Attention excessive et interprétation biaisée
Selon le modèle de l'attention sélective de Wells (1997), la dermatillomanie serait liée à une attention excessive portée sur les défauts de la peau. Le modèle de l'interprétation biaisée de Salkovskis (1991) offre quant à lui, un cadre conceptuel pour comprendre comment les individus atteints de dermatillomanie ont tendance à interpréter de manière négative les sensations et les imperfections mineures de leur peau, attribuant souvent un sens exagérément négatif à ces signaux somatiques.
La dermatillomanie comme stratégie inadaptée de régulation émotionnelle
Selon Roberts, O'Connor, Aardema et Belanger (2015), la dermatillomanie est utilisée comme une stratégie inadaptée de régulation émotionnelle. Les auteurs proposent l'idée que le triturage intensif serait déclenché par des émotions négatives dans des situations d'impatience, d'ennui, de frustration ou d'insatisfaction que l'acte de grattage permet d'atténuer, renforçant alors le comportement. Les personnes touchées par ce trouble sont perçues comme des êtres possédant de hauts standards sociaux et professionnels et une incapacité à se relaxer. Cependant, les résultats de leur étude sont mitiges et les auteurs informent sur la nécessité de mener les recherches. Dans leur étude réalisée en 2018, Alexander et al. ont mis en évidence une dysrégulation plus importante chez les personnes souffrant de Comportements Répétitifs Centres sur le Corps (CRCC) avec une réactivité émotionnelle inadaptée, une tendance à l'évitement expérientiel important et des réponses d'inhibition face à la détresse.
Hypothèse des traits de personnalité
Une étude réalisée par Grant & Chamberlain (2021) a cherche le lien entre les traits de personnalité et les CRCC. Les personnes souffrant de CRCC auraient des scores plus élevés de névrosisme et d'introversion, tout en présentant un niveau de conscience faible. Cette étude met en avant le rôle de ces trois traits de personnalité que sont le névrosisme, l'introversion et le manque de conscience, qui ont tous un impact sur les symptômes anxieux et dépressifs, ainsi que sur la perception du stress, et l'impulsivité. Une autre étude réalisée en 2012 par Lochner et al., a révélé que les personnes atteintes de dermatillomanie présenteraient des traits perfectionnistes et obsessionnels-compulsifs.
2. Théories comportementales
Le modèle de conditionnement classique met en évidence l'association des comportements de triturage et le soulagement des tensions. Selon Azrin et Nunn (1973), le soulagement de la tension qui apparaît après passage à l'acte joue le rôle de renforcement négatif, rôle clé dans le maintien des comportements compulsifs tels que le grattage de la peau. D'après Stan (2016), l'évitement expérientiel joue quant à lui un rôle de médiateur entre la peur d'une évaluation négative, les croyances dysfonctionnelles sur l'apparence, les cognitions honteuses, et la gravite des symptômes de la dermatillomanie, soulignant l'importance de réduire cet évitement dans le traitement du trouble.
Plusieurs études ont été réalise pour étudier le lien entre la dermatillomanie, l'impulsivité et la fléxibilité cognitive. Certaines études examinant des dysfonctionnements cognitifs chez les personnes atteintes de dermatillomanie ont montre des temps de réaction altérés dans les tâches de stop-signal, c'est-à- dire un contrôle inhibiteur altéré. En revanche, la flexibilité cognitive resterait intacte par rapport au groupe temoin (Snorrason et al., 2010). Depuis, plusieurs auteurs tentent de démontrer l'association entre une forte impulsivité, des difficultés d'inhibition et le trouble de la dermatillomanie, cependant les résultats sont discutes (Grant et al., 2016 ; Oliveira et al., 2015).
3. Hypothèses thérapeutiques
À ce jour, il n'existe pas de traitement spécifique de la dermatillomanie. Le suivi thérapeutique peut comprendre une prise en charge Thérapies Cognitives et Comportementales (TCC) associée à une prise en charge médicamenteuse par agents sérotoninergiques (médicaments de type ISRS - inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine - ou IRSN - inhibiteur de la recapture de la sérotonine-noradrénaline).
Keuthen et al. (2007) ont propose un protocole TCC dans le cadre du traitement de la trichotillomanie dont les mécanismes et caractéristiques sont extrêmement proches de la dermatillomanie. Leur protocole se présente de la façon suivante :
Exposition avec prévention de la réponse (identification des déclencheurs, établissement d'une hiérarchie de situations anxiogènes, et exposition contrôlée sans se gratter).
Restructuration cognitive (identification des pensées automatiques négatives, l'évaluation de leur validité et de leur impact sur les comportements de grattage, la recherche de preuves contradictoires et la création de pensées alternatives plus adaptatives).
Apprentissage de techniques de relaxation et de réduction du stress.
Stratégies d'autocontrôle pour gérer les impulsions de triturage et développer des comportements alternatifs plus adaptatifs (prise de conscience des déclencheurs, l'utilisation de signaux d'arrêt (comme des bracelets ou des notes), la redirection de l'attention vers des activités de substitution (comme le dessin, la manipulation d'objets ou la relaxation), l'utilisation de techniques de résistance (par exemple, serrer les poings), et la mise en place de récompenses pour les comportements de non- grattage).